dimanche 15 avril 2018

Un chauffeur de la STM frôle un cycliste : que fait la police?

Il est temps de cesser de banaliser certains comportements en ne les considérant que comme de simples infractions au Code de la sécurité routière et de les sanctionner pour ce qu’ils sont vraiment : des actes criminels.
Dernier exemple en date : celui de ce cycliste frôlé par un autobus de la STM le 11 avril dernier. Heureusement, celui-ci a pu filmer la scène grâce à une caméra qui l’accompagne désormais dans tous ses déplacements à vélo en raison, justement, de la conduite de certains automobilistes.
https://youtu.be/YCiytw9vwo8
La vidéo, publiée sur la chaîne YouTube de MTL Biking Commute, montre d’abord le cycliste rouler sur Sherbrooke. On voit ensuite un autobus de la STM le frôler dangereusement, enfreignant clairement le Code de la route qui impose une distance d’un mètre pour doubler un cycliste. 
Quiconque a vécu une situation semblable imagine très bien à quel point on se sent vulnérable quand des tonnes de métal passent à quelques centimètres de son corps. Le cycliste aurait pu avoir un mouvement de surprise et percuter une voiture stationnée ou perdre le contrôle et chuter contre l’autobus pour s’écraser sous ses roues.
Heureusement, le cycliste garde son sang-froid, mais accélère la cadence pour rejoindre l’autobus et s’arrêter à côté du chauffeur. Très calme, dans les circonstances, il lâche, ironique : « Passe un peu plus proche la prochaine fois. », ce à quoi le chauffeur : « Prend la piste cyclable en bas le grand. »
Il faut voir la vidéo de l’échange pour voir l’évidence : le chauffeur a sciemment frôlé le cycliste pour lui donner une leçon. Ce faisant, il a mis sa vie en danger… 
Le Code de la sécurité routière prévoit, à l’article 341, que « Le conducteur d’un véhicule routier ne peut dépasser une bicyclette à l’intérieur de la même voie de circulation, à moins qu’il ne puisse le faire sans danger après avoir réduit la vitesse de son véhicule et après s’être assuré qu’il peut maintenir une distance raisonnable entre son véhicule et la bicyclette lors de la manœuvre. Est une distance raisonnable 1,5 mètre sur un chemin dont la limite de vitesse maximale autorisée excède 50 km/h ou 1 mètre sur un chemin dont la limite de vitesse maximale autorisée est de 50 km/h ou moins. »
Par ailleurs, on peut lire sur le site de la SAAQ que « Lorsqu’une infraction grave a été commise, comme la conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool ou la drogue, les courses de rue et toute autre infraction de nature à mettre des vies en danger ou à causer la mort, c’est le Code criminel qui s’applique. » 
Par ailleurs, l’article 249 (1) du Code criminel indique que « Commet une infraction quiconque conduit, selon le cas :a) un véhicule à moteur d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu (…) (2) Quiconque commet une infraction mentionnée au paragraphe (1) est coupable : a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans; (…).
Mieux, selon l’article 268 (1), « Commet des voies de fait graves quiconque blesse, mutile ou défigure le plaignant ou met sa vie en danger. » et « (2) Quiconque commet des voies de fait graves est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans. »
Alors quand la seule sortie des autorités consiste en une déclaration du porte-parole de la STM au sujet du chauffeur à l’effet que « Cet employé sera rencontré, notamment pour obtenir sa version des faits, et nous prendrons les mesures appropriées en lien avec cet incident. », j’ai envie de pleurer.
Que la STM veuille traiter cette affaire comme une affaire disciplinaire, soit. Mais cette affaire est bien plus que ça, c’est une affaire criminelle. 
Qu’attendent les autorités pour mener ce chauffeur devant les tribunaux, et ainsi, dire aux cowboys de la route que de menacer les cyclistes avec des tonnes de métal roulant, c’est criminel?

mardi 30 janvier 2018

Islamophobie : à l’origine de la discorde


Un mot, plusieurs définitions

La variété de sens donnés au terme islamophobie et son utilisation abusive nous empêche de débattre sereinement et élargit le fossé qui divise la société. Pourquoi? Parce qu’il sème la confusion en brouillant toutes les nuances qui s’imposent entre les divers points de vue relatifs à l’islam.

Pour l’historien et sociologue Gérard Bouchard, le terme islamophobie « … désigne des perceptions et des attitudes négatives pouvant conduire à des propos offensants et à des actes violents à l’encontre de citoyens de confession musulmane. »

Tandis que pour le premier ministre Justin Trudeau, il s’agit plutôt de la peur de l’autre : « L’islamophobie, ça nous dérange. (…) On a tous peur, des fois. On a peur de l’inconnu, on a peur de l’étranger. »

Islamophobie : perception menant à la violence ou peur de l’autre?

Un mot qui divise

Au lendemain de la tuerie de Québec, j’avais besoin de silence, j’avais besoin de paix. Comme des milliers d’autres, je voulais dire non à la violence et exprimer ma solidarité envers les musulmans en participant à la Vigile de solidarité près du métro Parc, à Montréal.

Une dizaine d’intervenants se sont succédé au micro. On a exprimé la douleur et la colère, évidemment. On a appelé à l’ouverture, à la solidarité et au rejet du racisme, c’était bienvenu. Mais certains ont choisi de pointer du doigt des coupables présumés plutôt que d’apaiser nos cœurs meurtris, un aspect que n’ont pas relevé les journalistes, pressés de faire leur topo pour déguerpir au plus vite se mettre à l’abri du froid.

Ainsi, Asmaa Ibnousahir explique que la sécurité de dizaines de femmes musulmanes « … est menacée depuis que le Québec s’est lancé dans les traces de la France par ses politiques islamophobes. »

Selon Samira Laouni, de l’organisme COR, la montée de l’intolérance est notamment accentuée « … par certains politiciens populistes à la recherche de votes, par certains intellectuels en mal de notoriété (…). »

Pour une autre intervenante, « Les communautés musulmanes ont été incroyablement blessées, harcelées, intimidées par les propos islamophobes, les critiques virulentes à notre endroit et les tentatives de projet de loi qui visaient à nous empêcher de travailler avec nos symboles religieux. »

Quant à Aroun Bouazzi, d’Amal Québec, il voulait rappeler : « (…) aux identitaires, aux suprémacistes, aux néonazis que vous ne nous diviserez jamais. (…) aux chroniqueurs, aux Mathieu Bock-Côté, aux Martineau, aux Christian Rioux, tous ceux qui nous ont divisés, classifiés, montés les uns contre les autres, vous ne nous diviserez jamais. Aux politiciens calculateurs, ceux qui profitent de nos peurs, ceux qui profitent de nos craintes, ceux qui attisent la méfiance envers l’autre, envers les musulmanes, envers nos lieux de cultes, vous ne nous diviserez jamais. »

Et finalement, Farah Najah, elle, s’en prend au « … state-sanctioned white supremacy and xenophobia, like the racist and misogynist unreasonable accommodation commission, and the so-called charter of values. »

Les amalgames

Il y avait là de bien malheureux amalgames qui continuent de courir dans l’espace public.

Concernant certains animateurs radio et chroniqueurs, la cause me semble entendue. Ils cultivent bien souvent, autant sur le fond que par la manière, la division, l’intolérance, le racisme et la haine des musulmans.

Mais les politiciens québécois, sauf certains cas isolés, peut-on sérieusement les accuser de « souffler sur les braises de l’intolérance »? S’opposer à leurs idées, oui, mais les accuser d’avoir contribué au climat ayant mené au massacre de Québec?

Et la Charte des valeurs, la volonté de limiter le port du voile ou d’encadrer plus strictement les accommodements raisonnables. On peut être férocement contre, mais était-il bien honnête de les pointer du doigt au lendemain du pire acte haineux qu’ait connu le Québec?

Finalement, en accusant Mathieu Bock-Côté et Christian Rioux de diviser, ne tente-t-on pas de museler tous ceux et celles qui, dans l’autre camp, s’inquiètent de l’intégrisme et défendent la laïcité?

De tels discours enflammés mobilisent, mais polarisent à outrance. En niant toute légitimité aux perceptions et aux opinions raisonnables de certains, ils les braquent dans une position inconfortable où la discussion devient impossible. C’est exactement ce que cherchent les extrémistes de tout acabit.

On s’offusque des raccourcis intellectuels qui associent tous les musulmans au terrorisme ou à l’intégrisme islamique. Et on a bien raison. Mais comme on vient de le voir, personne n’est à l’abri des amalgames.

Tous islamophobes?

Le terme islamophobie est utilisé pour décrire une foule de réalités bien différentes :
  • Le citoyen qui s’inquiète d’une ferveur religieuse associée à des valeurs inédites au Québec depuis la Révolution tranquille : islamophobe.
  • L’intellectuel qui analyse l’islam radical dans la perspective d’un projet politique international : islamophobe.
  • Le chroniqueur hostile à tout fait religieux : islamophobe.
  • Le tenant de la laïcité qui veut encadrer le port de signe religieux et les demandes d’accommodement : islamophobe.
  • Le #charlie qui défend le droit au blasphème : islamophobe.
  • Ou encore, ceux que la haine de l’islam mène à l’agression verbale contre des musulmanes voilées ou à l’assassinat de fidèles, en passant par toute la gamme intermédiaire des agressions qui pourrissent la vie de nos concitoyens musulmans.

Les bons mots pour le dire

Penser marquer des points en qualifiant d’islamophobes ceux qui ont des réserves envers l’islam — appelons-les, faute de mieux, les « islamosceptiques » —, c’est oublier que nous sommes condamnés à vivre ensemble. Plus de 40 % des Québécois, des démocrates, pas de dangereux fascistes, ont appuyé la charte des valeurs et 60 % se sont prononcés pour l’interdiction des signes religieux dans la fonction publique. Si on continue à leur crier des noms, on n’est pas près de voir de rapprochement entre les communautés.

En cette année préélectorale, les adversaires de bonne volonté devraient convenir d’un vocabulaire permettant d’exprimer toutes les nuances que requiert une discussion intelligente dont nous ne pourrons faire indéfiniment l’économie.

Sources